Depuis deux arrêts d’Assemblée Plénière du 22 décembre 2023 (n°20-20648, n°21-11330), la Cour de Cassation admet désormais que dans un procès, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits. Un changement de jurisprudence qui appelle à la plus grande prudence des employeurs dans leurs relations de travail.
L’ancien régime de la preuve lors d’un procès prud’homal
Avant ces arrêts , les parties pouvaient apporter lors d’un procès différentes preuves sous réserve que celles-ci étaient loyales. Ainsi, les juges étaient contraints d’écarter des débats des éléments de preuve obtenus de manière clandestine, c’est-à-dire à l’insu des intéressés. La loyauté de la preuve était une garantie contre l’utilisation de stratagèmes, de manœuvres, ou d’artifices pour obtenir des preuves utiles à une partie lors d’un procès.
A titre d’exemple, l’enregistrement clandestin d’une conversation téléphonique privée, sans que l’auteur des propos n’ait été informé de cet enregistrement était déclaré déloyal et par conséquent irrecevable (Cass. soc., 23 mai 2007, n°06-43209).
Le changement progressif dans la jurisprudence
Sous l’impulsion de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, les juridictions françaises ont été poussées à assouplir leur position en matière de preuve.
Dans un arrêt de 2020, la Cour de Cassation avait pour la première fois considéré que la production d’un élément de preuve illicite n’entraînait pas nécessairement son rejet, dès lors que cette production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi (Cass. soc., 25 novembre 2020, n°17-19523).
Jusqu’aux arrêts du 22 décembre 2023, la Cour de Cassation n’avait pas encore admis qu’une preuve obtenue par un procédé déloyal pouvait être admise.
La nouvelle solution posée par la Cour de Cassation
Dans le premier arrêt (n°20-20648), un salarié a été licencié pour faute grave en raison de propos enregistrés à son insu par son employeur. La Cour d’Appel d’Orléans avait déclaré cette preuve irrecevable, car l’enregistrement avait été réalisé de façon clandestine.
Dans la seconde affaire (n°21-11330), une capture d’écran de messages intégrés au compte Facebook personnel du salarié installé sur son ordinateur professionnel, a été transmise à l’employeur par un autre collaborateur. Dans cette conversation sur Facebook, le salarié indiquait que la promotion d’un autre salarié était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. La Cour d’Appel de Paris avait écarté des débats cette conversation par messagerie Facebook sur le fondement du droit à la protection de la vie privée.
Dans les deux cas la Cour de Cassation a ainsi admis que des preuves obtenues de manière déloyale peuvent être recevables dans un procès prud’homal, mais sous certaines conditions strictes. Selon la Cour, le point clé est de trouver un équilibre entre le droit à la preuve, fondamental pour assurer l’équité d’un procès, et le respect des droits fondamentaux, tels que la vie privée et la dignité des individus.
Ainsi la Cour considère que considère désormais que « l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats ».
Pour qu’une preuve déloyale soit admise, deux conditions essentielles doivent être remplies :
- Indispensabilité de la preuve : la preuve doit être essentielle pour exercer le droit à la preuve. En d’autres termes, il doit être prouvé qu’il n’existe pas d’autre moyen de prouver les faits en question. Cette condition vise à limiter l’utilisation de preuves obtenues de manière déloyale aux situations où elles sont absolument nécessaires pour établir la vérité.
- Proportionnalité de l’atteinte : l’atteinte aux droits fondamentaux, comme le droit à la vie privée, doit être proportionnée au but poursuivi par la présentation de cette preuve. Cela signifie que le juge doit évaluer si le besoin de prouver un fait spécifique justifie l’utilisation de preuves obtenues de manière déloyale, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire.
Dans l’application de cette nouvelle approche, la Cour de Cassation a adopté une analyse au cas par cas. Par exemple, dans le premier arrêt, l’enregistrement clandestin de la conversation d’un salarié par son employeur a été jugé recevable, car il était considéré indispensable pour prouver la faute grave justifiant le licenciement. En revanche, dans le second arrêt, une capture d’écran de messages Facebook privés, bien que recevable en tant que preuve, n’a pas été jugée suffisante pour justifier le licenciement, car elle portait une atteinte disproportionnée à la vie privée du salarié.
Compte tenu de l’utilisation grandissante des outils technologiques dans le milieu professionnel, tant les employeurs que les salariés doivent adopter une attitude précautionneuse dans les propos qu’ils peuvent tenir verbalement, ou par écrit. En effet, dans le cadre d’un procès, toutes les preuves rapportées par l’une ou l’autre partie pourront être jugées recevables.
En conclusion, cette nouvelle jurisprudence marque une évolution significative en matière de droit du travail, renforçant le rôle du juge dans l’évaluation de la recevabilité des preuves et invitant les parties à faire preuve de plus de prudence dans la collecte et l’utilisation des éléments de preuve lors des litiges.
Si vous souhaitez plus d’informations ou des détails supplémentaires sur ces arrêts, vous pouvez consulter les sources : Cour de Cassation, décision n°20-20648 etCour de Cassation, décision n°21-11330.