L’interview (presque) imaginaire : le référé expertise

Pénurie de biens, marché tendu, remontée des taux, flambée des prix…vous êtes incollable sur le marché immobilier car vous êtes un professionnel du secteur ou vous aspirez à le devenir dans le cadre d’une reconversion. Pour ce faire, vous lisez le maximum d’articles sur le sujet après avoir visualisé tous les épisodes de l’émission « L’Agence ».

Mais connaissez-vous l’envers du décor lorsque les désordres apparaissent ?

Le journalisme d’investigation ne s’y est pas aventuré mais Dune si.

Enfilez vos bottes, Dune vous emmène en référé-expertise en matière immobilière.

Vous saurez quasiment tout de cette procédure grâce à l’interview (presque) imaginaire de notre dirigeant fictif, lequel après un contrôle musclé de la DGCCRF (à retrouver ici) a cessé son activité dans la vente de montres de luxe pour créer une foncière. Il se trouve à présent convoqué devant le Juge des Référés.

Dune : Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans un référé-expertise ?

Je suis propriétaire via ma société de plusieurs lots d’un immeuble dans lequel est survenu un important dégât des eaux. Pendant l’été, j’ai été contacté pour une coulée d’eau provenant de l’appartement de l’un de mes locataires, qui était en vacances.

Nous avons pu arrêter l’écoulement de l’eau mais l’appartement du dessous a été très endommagé.

Le copropriétaire de cet appartement a assigné ma société aux côtés de mon locataire en vue d’obtenir la désignation d’un expert judiciaire.

J’ai trouvé cela étonnant car nos assureurs avaient déjà fait venir leurs experts, qui devaient préparer leurs rapports.

Sur les conseils d’une amie élève-avocate, j’ai fait assigner l’assureur de ma société à cette audience. Sa présence était requise dans le cas où la responsabilité de ma société serait engagée.

Je me suis présenté à l’audience seul alors que mon assureur avait pris un avocat qui a informé le Juge qu’il formulait des « PR ». Je n’ai pas compris ce jargon obscur.

Le Juge des Référés a ordonné une expertise judiciaire pour identifier les désordres, déterminer les travaux pour y remédier et évaluer les préjudices.

De mon côté, les choses étaient claires : il suffisait de repeindre les plafonds endommagés de l’appartement du dessous. J’étais prêt à rembourser la peinture et la main d’œuvre utile.

Le Juge des référés n’a pas vu la situation de façon si évidente et a ordonné la désignation d’un expert judiciaire auquel il confiait les opérations d’expertise.

[Ndlr : Le référé-expertise est une procédure spécifique par laquelle un demandeur demande au Juge des Référés d’ordonner une expertise judiciaire. Le défendeur peut s’y opposer mais s’agissant d’une mesure d’instruction, le Juge des Référés y fait souvent droit. Il est fréquent que les avocats des défendeurs formulent à l’audience des « protestations et réserves », les « PR ». Il s’agit d’une formule d’usage pour dire que la partie défendue ne s’oppose pas à la demande d’expertise mais émet toutes protestations. L’expertise judiciaire est contradictoire et opposable contrairement à une expertise amiable. Le Juge des Référés peut nommer un expert judiciaire, qui devra restituer au Tribunal son rapport judiciaire dans un délai imparti.]

Dune : Comment s’est déroulée l’expertise ?

L’expert judiciaire a convoqué les parties à deux reprises sur les lieux du dégât des eaux. Il y avait plusieurs personnes lors de ces réunions : les parties, les avocats, les architectes, et bien sûr, l’expert judiciaire.

Il a procédé aux constatations et a demandé aux parties de lui fournir des pièces (plans, factures, etc.).

Nous étions tous regroupés autour de l’expert judiciaire qui dirigeait ses opérations. Les discussions étaient très techniques. L’expert judiciaire prenait des photographies et inspectait les lieux pour identifier l’origine du dégât des eaux. La réunion était moins solennelle que l’audience de référé.

Je n’étais pas serein car les échanges tendaient à soutenir que mon locataire était en faute et que le sinistre avait empêché le propriétaire de l’appartement du dessous d’occuper son bien pendant plusieurs mois. Comme mon locataire n’était pas assuré, j’étais dans mes petits souliers.

[Ndlr : L’expertise judiciaire implique le paiement d’une provision à la charge du demandeur à l’expertise et, de manière très exceptionnelle, à la charge du défendeur. Après le paiement de la provision auprès du Tribunal, l’expert judiciaire peut commencer sa mission en convoquant les parties sur les lieux du sinistre notamment et en se faisant remettre toutes les pièces qu’il juge utiles. Après chaque réunion d’expertise, il envoie aux parties un compte-rendu écrit. Les parties peuvent envoyer leurs observations sous forme de « dires ». Lorsque sa mission lui semble terminée, il adresse aux parties son pré-rapport et enjoint aux parties de lui adresser leurs éventuels dires récapitulatifs. A la toute fin, l’expert judiciaire adresse son rapport d’expertise au Tribunal et aux parties. Il adresse également sa facture, qui doit être réglée par le demandeur si c’est à lui qu’incombait les frais d’expertise.]

Dune : qu’est-ce qui vous le plus étonné lors de cette expertise judiciaire ?

La durée de toute la procédure…

Lorsque j’ai reçu l’assignation, je me disais que la procédure se terminerait en six mois. Elle a duré deux ans. Et ce n’est pas fini…

Lorsque j’ai reçu le rapport d’expertise, j’ai constaté que l’expert judiciaire considérait que ma société était responsable car son locataire avait omis de fermer le robinet d’arrêt d’eau de sa machine à laver alors qu’il était parti en vacances.

Je n’étais pas d’accord avec l’évaluation du préjudice retenu par l’expert judiciaire. J’avais oublié de le dire par écrit lors de l’expertise. J’ai voulu gérer seul cette procédure mais je n’en connaissais pas les rouages, contrairement à un professionnel du droit qui aurait pu me conseiller et me défendre.

Comme il n’a pas été possible de trouver un arrangement amiable, je viens de recevoir une seconde assignation dans laquelle le copropriétaire voisin demande au Tribunal de condamner ma société à rembourser les frais d’expertise, à régler les travaux de rénovation et à l’indemniser pour la période où il n’a pas pu occuper son appartement.

[Ndlr : Le demandeur pourra demander que les frais d’expertise soient remboursés par la partie qui sera désignée responsable dans le rapport d’expertise. Sauf accord amiable, il devra saisir le Tribunal pour en demander le remboursement, qui n’est pas automatique. Dans ce cas, il demandera également au Tribunal de juger la responsabilité et l’indemnisation de ses préjudices. La procédure de référé-expertise sert à fournir des preuves : identifier les dommages, déterminer le responsable et évaluer les préjudices éventuels. Pour ce qui est de la condamnation sur le fond, il est nécessaire de saisir un autre Juge, ce qui rallonge la durée de la procédure].

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