ChatGPT, Midjourney, Bard, etc. il ne se passe plus un jour sans que les intelligences artificielles (IA) fassent parler d’elles.
Derrière la facilité de créer des contenus, nos avocats ont déployé leur intelligence humaine pour analyser si le droit d’auteur pourrait s’appliquer aux IA : peut-on revendiquer un droit d’auteur sur un contenu créé par une IA ? Qui est l’auteur d’une œuvre créée par une IA ? Qu’advient-il des droits des auteurs des œuvres utilisées par les IA pour créer leurs contenus ?
Nous tenterons d’apporter des réponses à ces questions. Soyez compréhensifs, nous ne sommes que des humains.
Sommaire
- Rappel des principes fondamentaux du droit d’auteur
- Explication du mécanisme de création de contenus par une IA
- Le droit d’auteur protège-t-il les contenus créés par une IA ?
- Licéité des œuvres créées par une IA
- Originalité des œuvres créées par une IA
- A quoi s’attendre des futures réglementations des contenus créés par une IA ?
- Conclusion et bonnes pratiques quant à l’usage des AI
1. Rappel des principes fondamentaux du droit d’auteur
Le droit d’auteur organise la protection et l’exploitation des droits dont l’auteur d’une œuvre dispose sur celle-ci.
Le droit français accorde à l’auteur d’une « œuvre de l’esprit » « originale », « du seul fait de sa création », un « droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » sur cette œuvre.
Ainsi, selon le droit français, celui qui crée une œuvre originale détient des droits de propriété intellectuelle sur celle-ci, et ce, sans aucune formalité, ni dépôt.
Ces droits permettent notamment à l’auteur de l’œuvre d’en revendiquer la création, de l’exploiter comme il le souhaite et d’en interdire l’usage aux tiers.
Pour qu’une œuvre de l’esprit soit originale, il doit s’agir d’une création portant l’empreinte de la personnalité de son auteur.
S’agissant des IA, il faudrait démontrer que les contenus générés comportent l’empreinte de leur « personnalité ».
2. Explication du mécanisme de création de contenus par une IA
Pour générer du contenu, il faut revenir au processus de création de contenus par une IA :
- l’IA générative est nourrie de données, transmises par intervention humaine ou collectées par l’IA elle-même (data mining). Ces données peuvent notamment inclure des œuvres préexistantes écrites ou visuelles ;
- l’utilisateur de l’IA lui donne ses instructions au moyen d’un « prompt» ou « invite » ;
- en suivant les instructions qui lui ont été données et grâce à un algorithme, l’IA va sélectionner, exploiter, et combiner les données dont elle a été nourrie, pour créer le contenu demandé.
Pour une illustration concrète, nous nous sommes prêtés au jeu et avons demandé à l’un de nos artistes-experts, que nous remercions, de créer une œuvre via Midjourney (IA permettant de créer des images à partir de descriptions textuelles).
Nous lui avons demandé d’entrer dans l’IA une commande pour générer une image représentant « Harvey Specter (célèbre avocat de la série Suits) androïde en audience ».
L’IA a généré une image, notre artiste-expert a précisé sa demande, l’IA a généré une nouvelle image pour y correspondre. Après quelques échanges, nous avons obtenu la création qui illustre notre article.
Bluffant non ?
3. Le droit d’auteur peut-il protéger les contenus créés par une IA ?
Les contenus créés par une IA résultent de l’exploitation des données préexistantes, y compris d’œuvres de l’esprit.
Plusieurs questions se posent : les contenus de l’IA pourront-ils caractériser des contrefaçons d’œuvres préexistantes (a.) ? Dans le cas contraire, ces contenus peuvent-ils être qualifiés d’œuvres de l’esprit originales au sens du droit d’auteur et qui en est titulaire (b.) ?
Licéité des œuvres créées par une IA
L’utilisation (reproduction ou représentation) non autorisée d’une œuvre relève de la contrefaçon et peut être sanctionnée à ce titre.
En effet, l’incorporation d’une œuvre préexistante dans une nouvelle œuvre requiert l’accord préalable de l’auteur de cette œuvre. L’œuvre ainsi créée sera alors une œuvre dite « composite » ou « dérivée ».
S’il a été prévu récemment dans le Code de la Propriété Intellectuelle une exception autorisant les reproductions et extractions d’œuvres accessibles de manière licite aux fins de la fouille de textes et de données, les conditions d’application sont strictes et ne couvriront que des cas très limités.
Surtout, l’œuvre préexistante pourrait ne pas être identifiable après le travail mené par l’IA.
Ainsi, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a souligné dans son rapport de 2020 « Mission Intelligence Artificielle et Culture » qu’« il sera en réalité rare que la création finale [par IA] reflète des compositions essentielles et reconnaissables de l’œuvre initiale ».
Si cette analyse est confirmée par les juridictions, la contrefaçon pourrait être exclue pour une œuvre créée par une IA si elle ne reprend pas, de manière reconnaissable, les caractéristiques essentielles et originales d’une œuvre initiale.
D‘autres fondements juridiques pourraient être invoqués pour faire sanctionner l’incorporation d’une œuvre préexistante : concurrence déloyale, parasitisme, etc.
L’œuvre créée par IA ne serait donc pas, par nature, contrefaisante. Pour autant, peut-elle être originale ?
Originalité et titularité des œuvres créées par une IA
Rappelons que le droit français réserve le statut d’auteur aux personnes physiques, même si les personnes morales peuvent tout de même être titulaires de droits d’auteur.
Il convient de distinguer deux cas de figure : selon qu’il y a ou non une intervention humaine dans la création des contenus.
Dans le cas où une personne physique (pour ne pas dire humaine) a choisi et écrit les commandes soumises à l’AI, les contenus pourraient refléter la personnalité de cette personne.
En effet, le fait qu’une œuvre soit créée en utilisant une machine ne retire – en soi – pas son caractère original et n’empêche pas qu’elle soit protégée par le droit d’auteur.
L’auteur qui crée une œuvre via une IA manie les commandes et les données comme le photographe manie son appareil et son environnement. L’œuvre créée via une IA pourrait être qualifiée d’œuvre au même titre que la photographie en est une si elle répond aux conditions d’originalité.
Qu’en est-il des œuvres créées par un processus entièrement automatisé ? Dans ce cas (qui deviendrait l’étape ultime de l’autonomisation des IA), l’IA ne serait pas un outil mais serait le créateur du contenu allant du concept au résultat final.
Il n’existe pas de décisions de justice mais il serait difficile de caractériser l’empreinte de la personnalité d’une IA. Seul son développeur pourrait répondre à cette question.
Pour autant, doit-on considérer qu’il n’y a pas d’œuvre et pas de titulaire de droit ?
La personne qui utilise une IA pour créer une œuvre est titulaire des droits d’auteur sur cette œuvre, comme tout auteur d’une œuvre qui utilise un outil pour la réaliser.
Dans la conception actuelle du droit d’auteur, l’IA et son développeur ne sont pas titulaires de droits d’auteur sur cette œuvre.
En revanche, pour les œuvres créées de manière autonome par une IA, cette dernière ne peut pas avoir la qualité d’auteur, pour l’instant.
Nous n’avons pas connaissance de décisions de justice en France mais aux Etats-Unis, les juges ont refusé de reconnaître la protection par le copyright d’une œuvre créée par une IA de manière automatisée.
4. A quoi s’attendre des futures réglementations des contenus créés par une IA ?
Depuis 2021, le Parlement européen a commencé des travaux de réflexion afin de réguler les IA et leur utilisation. En ce sens, le Parlement prépare un texte : l’IA Act.
En France, des députés ont déposé, le 12 septembre 2023, une proposition de loi visant à encadrer la protection des créations via des IA par le droit d’auteur et par de nouvelles règles.
Afin de protéger le domaine de la création et les auteurs, ces députés suggèrent notamment :
- que lorsqu’une œuvre est créée par une IA de manière autonome, seuls les auteurs des œuvres utilisées par l’IA soient reconnus titulaires des droits sur l’œuvre créée par l’IA ;
- d’imputer une taxe à l’entreprise qui utilise une IA pour créer une œuvre, taxe qui sera récoltée par un organisme chargé de la gestion collective des droits des auteurs (type SACEM, SACD, etc.), pour être ensuite reversée aux auteurs dont les œuvres sont utilisées par l’IA.
Les règles devraient évoluer rapidement dans ce domaine compte tenu de l’ampleur croissante de l’IA dans notre quotidien.
5. Conclusion et bonnes pratiques
En l’absence de réglementation sur les IA, nous vous recommandons d’être prudents lorsque vous recourez à l’IA pour générer des contenus.
L’IA offre des possibilités de création infinies. Néanmoins, elle n’évolue pas hors de tout domaine de droit : en tant qu’auteur ou exploitant de contenus créés par une IA, vous pouvez bénéficier de la protection du droit d’auteur autant que vous devez le respecter.
Ainsi, nous vous recommandons de :
- vérifier les conditions générales d’utilisation applicables aux outils d’IA que vous utilisez ;
- analyser si vous êtes titulaires des droits sur les contenus générés par les IA que vous utilisez ;
- vous faire accompagner par un conseil juridique si vous exploitez des contenus générés par les IA.