Retour sur la décision Cass. Com. 28-2-2024 n°22-23.833 FS-B, Sté Pmjc c/X
Il y a quelques mois, nous évoquions les risques liés à l’absence d’usage sérieux de votre marque ici. Nous soulignions notamment l’importance de recueillir des preuves effectives de l’exploitation de votre marque, dès son enregistrement, afin de vous prémunir contre toute action en déchéance, c’est-à-dire d’une action visant à vous faire perdre vos droits.
L’absence d’usage sérieux n’est pas le seul risque de déchéance sur votre marque. Un titulaire peut également perdre les droits qu’il détient sur sa marque s’il l’exploite de mauvaise foi en trompant le public sur l’origine des biens ou services. Plus encore, cette action en déchéance peut provenir de l’ancien titulaire de la marque.
Le cas JC de Castelbajac
C’est ce que nous apprend le nouveau rebondissement de la saga Castelbajac dans le conflit qui oppose son fondateur, Monsieur Jean-Charles de Castelbajac, à la société PMJC.
En l’espèce, la société PMJC, ayant acquis, dans le cadre d’une offre de reprise à la suite d’une procédure collective, le portefeuille de marques de la société Castelbajac et notamment les marques verbales patronymiques « JC DE CASTELBAJAC » et « JEAN-CHARLES DE CASTELBAJAC », s’est vu reprocher de continuer d’utiliser ces marques après la fin de la collaboration avec Monsieur Jean-Charles Castelbajac en qualité de directeur artistique, en laissant faussement croire qu’il était encore le créateur des produits qui en étaient revêtus et qu’il participait toujours à leur conception.
Au-delà de la question de la déchéance d’une marque exploitée de manière trompeuse, il s’agit ici de s’interroger sur la recevabilité du porteur du nom de famille enregistré à titre de marque d’agir contre son nouveau titulaire.
Décision de la Cour de Cassation
Jusqu’à récemment, l’action du cédant à l’encontre du cessionnaire visant à « évincer » le nouvel acquéreur de sa marque était irrecevable sur le fondement des dispositions du droit commun propres à la garantie d’éviction[1].
Ici pourtant, la Cour d’appel de Paris avait jugé le 12 octobre 2022 que l’action de Monsieur Jean-Charles de Castelbajac à l’encontre de la société PMJC était recevable. Il appartenait à la société PMJC, si elle le souhaitait, de rechercher la responsabilité de Monsieur Jean-Charles de Castelbajac au titre d’un manquement à la garantie d’éviction.
Saisie d’un pourvoi de la société PMJC, la Cour de cassation confirme le 28 février 2024 l’arrêt du 12 octobre 2022 en ce que la Cour d’appel a déclaré recevable l’action de Monsieur Jean-Charles de Castelbajac à l’encontre de la société PMJC, ouvrant ainsi la voie à la possibilité pour l’ancien titulaire d’une marque d’agir à l’encontre du nouvel acquéreur.
Cette décision n’est pas sans rappeler la célèbre affaire Inès de la Fressange et le principe alors consacré selon lequel « la garantie au profit du cessionnaire cesse lorsque l’éviction est due à sa faute ».
La Cour de cassation a renvoyé à la Cour de Justice de l’Union Européenne la question de savoir si une marque patronymique peut être déchue en raison de son exploitation trompeuse après sa cession, ce qui pourrait faire croire au public que le créateur participe toujours à la création des produits.
Il conviendra d’attendre la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne à la suite de la question préjudicielle.
[1] Articles 1626 et 1628 du Code civil
La garantie d’éviction ne prive pas le cédant de la possibilité d’agir en déchéance pour déceptivité. Cela signifie qu’il peut intervenir contre le cessionnaire si celui-ci, par des manœuvres trompeuses après la cession des marques, induit le public en erreur sur la qualité, l’origine ou la nature du produit.
Il reste à savoir si cette possibilité pourra être étendue à d’autres motifs de déchéance, susceptibles eux aussi d’évincer l’acheteur dans sa jouissance paisible de la marque qu’il vient d’acquérir.
Si vous avez des doutes sur les conditions d’exploitation de vos marques sous l’angle de la déceptivité, n’hésitez pas à nous contacter.