La marque « vente-privee » : privée de marque !

droit des marques

La saga judiciaire opposant les deux sociétés concurrentes Vente-privee.com et Showroomprive.com vient de prendre un nouveau tournant devant le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a déclaré nulle la marque « vente-privee » pour dépôt frauduleux.

Le fondement de la procédure

En 2012, la société Showroomprive.com contestait la validité de la marque « vente-privee » pour défaut de distinctivité. Pour rappel, une marque a pour fonction de permettre à l’entreprise de se distinguer de ses concurrents sur un marché donné et de répondre à une fonction d’identification. Ainsi, une marque pour être valide doit être distinctive.

La Cour de cassation rejetait cette action en 2016 et faisait alors application d’une exception au caractère distinctif en indiquant que la marque avait acquis un tel caractère par l’usage intensif qui en a été fait depuis son dépôt et qui a permis au signe d’acquérir la distinctivité qui lui faisait défaut à l’origine pour devenir une marque valable.

Showroomprive.com continuait son combat et demandait alors la nullité de la marque « vente-privee » pour dépôt frauduleux en soutenant que la société Venteprivee.com était consciente qu’en procédant à ce dépôt elle privait ses concurrents de la possibilité d’utiliser le terme « vente privée », pourtant nécessaire à leur activité.

La position des juges

Le Tribunal de Grande Instance de Paris confirme la position antérieure et fait droit à la demande de Venteprivee.com reconnaissant que la marque contestée avait acquis son caractère distinctif par l’usage mais prononce toutefois la nullité de la marque en indiquant que :

– Le terme « ventes privées » a toujours désigné « des ventes évènementielles destinées à un public d’invités de déstockage des invendus des collections passées des grandes marques » ;

– Venteprivee.com ne justifiait d’aucune légitimité à « monopoliser à son seul profit les termes “vente-privée”, extrêmement proches de “vente privée” ;

– Venteprivee.com ne pouvait s’approprier un terme usuel et générique privant ainsi ses concurrents d’exploiter librement ce terme et créant ainsi une distorsion de concurrence.

Les juges font application de la jurisprudence constance en matière de fraude qui juge « qu’un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité. » (Cass. Com., 25 avril 2006, pourvoi n° 04–15.641).

La nullité de la marque semi-figurative « vente-privee » est donc prononcée sans prendre en compte les circonstances postérieures au dépôt, à savoir l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.

Une décision sévère mais juste

Cette décision d’annulation peut sembler sévère notamment après avoir reconnu l’acquisition du caractère distinctif de la marque mais se révèle juste car elle rétablit le juste équilibre dans les règles de libre concurrence indispensable pour les acteurs économiques de ce secteur en laissant à la libre disposition de tous les termes génériques indispensables à l’exploitation de leur activité.

En tout état de cause la décision étant susceptible d’appel, la saga « vente-privee » n’est peut-être pas terminée.

Cette décision illustre toute la difficulté de l’enregistrement d’une marque dont l’objectif est de suggérer l’activité exploitée tout en étant distinctive des produits et services visés.

TGI de Paris, 3ème ch. 1ère section, jugement du 3 octobre 2019

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