En ce début de juin ensoleillé, nous vous proposons de jouer à un jeu : saurez-vous deviner à quelle marque correspond le logo ci-dessous ?
Si vous séchez, n’ayez crainte, votre réputation d’aficionados des objets de luxe et/ou du Trivial Poursuit n’en pâtira pas.
En effet, sachez que le Tribunal de l’Union Européenne a récemment rendu une décision suggérant que la réponse à cette question n’est pas évidente.
D’une part, parce que l’entreprise exploitant ce logo ne l’a pas souvent utilisé seul : le consommateur n’associerait donc pas aisément ce logo à l’entreprise en question, s’il n’est pas complété de l’élément verbal de la marque.
D’autre part, car la couronne serait un motif laudatif plutôt que distinctif, renvoyant au caractère luxueux et à la qualité des produits marqués du motif plutôt qu’à une entreprise en particulier.
Ainsi, ce logo ne serait pas doté du pouvoir d’évocation des logos ci-dessous :
Gucci, Mercedes, Apple, Nike… vous les aviez n’est-ce pas ?
Allez, on ne fait plus durer le suspense. La voici, la marque couronnée :
On vous entend d’ici : mais oui, c’est évident, je l’avais ! Mais comment le Tribunal a-t-il pu considérer que le consommateur habitué des produits de luxe ne reconnaîtrait pas la marque Rolex à la simple vue de cette couronne ?
On vous explique.
Acte 1 : dépôt de la marque de PWT et opposition par Rolex
En 2014, la société danoise PWT A/S dépose la marque «» pour des produits cosmétiques, des accessoires, de la maroquinerie et des vêtements.
Mal lui en prit : ce motif de couronne est la chasse gardée de la société suisse Rolex. Cette dernière s’oppose donc à l’enregistrement de la marque «» en UE, en se fondant sur ses marques «» et «», enregistrées pour des montres.
L’Office des marques de l’UE, l’EUIPO, donne alors raison à Rolex : il reconnaît la renommée de ses marques et rejette entièrement la demande de marque de PWT.
Acte 2 : recours de PWT et échec de Rolex
PWT ne l’entend pas de cette oreille et compte bien obtenir un droit de marque sur sa couronne, au moins pour ses produits d’habillement. Elle forme donc un recours devant la division d’appel de l’EUIPO.
Jackpot : l’EUIPO revient sur sa décision, considérant que, si Rolex a bien apporté la preuve de la renommée de la marque « », ce n’est pas le cas pour la marque « ».
Selon l’EUIPO, le motif de la couronne seul ne fait qu’évoquer la qualité supérieure des produits de luxe et Rolex n’a pas établi qu’une majorité du public lui attribue le logo «».
D’ailleurs, la couronne ne peut être l’apanage de Rolex, puisque de nombreux logos similaires sont exploités sur le marché, comme les suivants :
Dès lors, PWT pourra exploiter sa marque «» pour des vêtements, chaussures et couvre-chefs sans risque que le consommateur croit qu’il existe un lien entre ceux-ci et Rolex : l’EUIPO accepte la marque.
Acte 3 : décision du Tribunal de l’UE
Au tour de Rolex d’interjeter appel, cette fois devant le Tribunal de l’UE : elle entend bien prouver que ses marques sont des marques renommées et que l’usage de la marque de PWT en tirera indûment profit ou leur portera préjudice.
Le 18 janvier 2023, le Tribunal refuse ses arguments et confirme la décision de l’EUIPO en faveur de PWT : sa marque «» peut être enregistrée pour des vêtements, chaussures et couvre-chefs (pour consulter la décision, cliquez ici).
Ainsi, Rolex perd devant le Tribunal et échoue à asseoir son droit sur la couronne.
Acte 4 : Epilogue ?
Que de rebondissements, n’est-ce pas ? Et encore, vous ne savez pas tout.
La marque «» est d’ores et déjà exploitée par PWT pour sa marque de vêtements Junk de luxe : vous pouvez voir une discrète couronne apparaître sur leur site internet et leurs vêtements ici, ou là.
Apposée de cette manière sur les vêtements de Junk de luxe, la couronne ne nous évoque pas Rolex et ses montres.
On pourrait donc considérer que le Tribunal a vu juste : la couronne Rolex n’est pas suffisamment associée à l’entreprise de montres de luxe, dans notre esprit de consommateur, pour que la vue de la couronne de PWT sur des vêtements nous évoque Rolex et porte préjudice à cette dernière.
Cependant, PWT ne s’est pas limitée à exploiter la couronne seule : c’est là que la procédure d’opposition, au cours de laquelle il n’est pas pris en compte les exploitations réelles des demandes de marques, peut manquer de pertinence en pratique.
Car avec ses cinq bras surmontés de sphères, la couronne PWT ressemble tout de même à la couronne Rolex. Alors lorsque PWT la place au-dessus du nom de sa marque rédigé en lettres capitales (comme ici), elle imite facilement la marque de renommée de Rolex :
Par ailleurs, on pourrait comprendre que Rolex soit froissée qu’une couronne similaire à la sienne soit associée à une marque « Junk de luxe », lorsque l’on constate que le mot « junk » peut désigner en anglais des ordures ou des parties génitales masculines.
PWT semble d’ailleurs bien s’en amuser :
On se demande alors : Rolex en restera-t-elle là ?
En attendant de connaître la suite, on en profite pour vous dire : titulaires de logos, exploitez-les (seuls, sans élément verbal) !
Et gardez les preuves d’usage : on ne sait jamais, peut-être qu’un jour vous en aurez besoin pour éviter que votre logo ne se retrouve sur des slips…